Église de la Vôge

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Jonas, ou la désobéissance
Jonas, fils d’Amittaï (1)

* Jon 1.1 – 2.1 *

Introduction & Lecture biblique

Ce que je vous propose, pour ce matin et les prochains dimanches, c’est de partir ensemble à la (re)découverte d’un personnage de l’Ancien Testament, un personnage bien connu puisqu’il s’agit du prophète Jonas.

Pourquoi Jonas ? Parce que c’est pour moi – au risque de vous étonner ! – un personnage attachant. C’est vrai que, quelque part, je me sens proche de lui : sale caractère, têtu, borné, en révolte contre Dieu, désobéissant, mais aussi, peut-être, dans une totale incompréhension face au projet du Dieu qu’il sert – un projet qui pour diverses raisons lui apparaît comme quelque chose de profondément injuste. Sacré gaillard, ce Jonas ! Mais, dites-moi : Les attitudes et les sentiments que nous voyons chez lui, ne sont-ils pas parfois… les nôtres ? Ne sommes-nous pas tous, à l’occasion, des Jonas ? C’est pour cela que je le trouve personnellement plutôt attachant, notre ami… Ce qui ne veut pas dire que nous puissions nous appuyer sur lui pour justifier nos manquements et nos désobéissances ! Il s’agit plutôt de voir comment Dieu s’y est pris avec lui, comment il l’a fait avancer sur un chemin de foi et d’obéissance. Relisons donc, si vous le voulez bien, son histoire ( pour aujourd’hui, le chap. 1 ) :

 

* Jon 1.1 – 2.1

I. Jonas, « loin de la face de l’Eternel »

Jonas, fils d’Amittaï, prophète de l’Eternel. Rien d’étonnant donc à ce que lui soit adressée la parole de l’Eternel ( cf. 2 R 14.25 ). La mission confiée, par contre, surprend, comme elle a dû surprendre Jonas. Vous pensez : aller à Ninive, la capitale de l’Assyrie, une ville païenne et, qui plus est, une ville ennemie ! Aller donc au cœur même de la puissance ennemie et hostile, païenne, celle qui va peut-être nous engloutir un jour !? Et tout ça, pour crier contre elle ( càd lui annoncer le jugement de Dieu )… Non, Seigneur, ce n’est pas sérieux !!

 Alors Jonas se lève pour s’enfuir… à Tarsis. Autrement dit, exactement à l’opposé de la direction de Ninive. Dieu lui avait dit de partir à l’Est, Jonas part vers l’Ouest. Et ce n’est pas dans l’idée de faire le tour de la terre pour arriver par l’autre côté après avoir visité un peu plus de pays ! Non, Jonas veut s’enfuir « loin de la face de l’Eternel ».

 Je suis surpris par cette petite phase : « loin de la face de l’Eternel »… Répétée 2 fois ( v. 3 ), ce n’est donc pas un détail anodin.

 Comment un prophète de l’Eternel peut-il seulement vouloir fuir loin de la face de son Dieu ( càd fuir loin de sa présence ) ? Le pire qui pouvait arriver, pour un israélite fidèle – comme on peut s’imaginer que Jonas l’était, puisqu’il était prophète –, était justement de ne plus être devant la face de l’Eternel. On peut se rappeler les cris de désespoir de David quand, à cause de son péché, Dieu avait détourné de lui sa face : « Ne me cache pas ta face ! » ( Ps 27.9 ; Ps 69.18 ; Ps 102.3 ; Ps 143.7 ) ; ou encore cette question pleine d’anxiété qu’il a plusieurs fois posée : « Pourquoi (me) caches-tu ta face ? » ( Ps 44.25 ; Ps 88.15 ). Quand Dieu cache sa face, il n’y a plus de dialogue possible, il n’y a plus sa présence : c’est le trouble, et même, le désespoir… Comment un prophète de l’Eternel peut-il seulement vouloir se retrouver dans cette situation ?

 Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne s’agit pas d’une brouille passagère, d’un simple petit malentendu comme il en arrive tous les jours. Non, la rupture est beaucoup plus profonde : délibérément, Jonas refuse d’obéir, et il va même plus loin puisqu’il cherche à s’éloigner au maximum de Dieu. Il ne veut plus rien avoir à faire avec lui. La fracture entre Jonas et son Dieu est profonde.

 Si j’essaye de réfléchir aux raisons qui ont provoqué cette attitude de Jonas, je pense à plusieurs choses :

(1) La peur peut-être, face à la mission confiée : tout seul face à une grande ville qui n’était visiblement pas remplie d’anges, puisque sa méchanceté était montée jusqu’à l’Eternel… Qui sait ce qui pourrait lui arriver, là-bas ?

(2) Peut-être aussi, de manière plus subtile, la crainte de devoir se mêler d’une manière ou d’une autre à des « infidèles ». On serait alors dans l’ordre des hésitations de Pierre, dans le Nouveau Testament, à aller vers les païens – Corneille en l’occurrence.

(3) Chez Jonas, cependant, le malaise semble plus profond encore… Son problème, en réalité, c’est qu’il ne veut pas que les ninivites se convertissent ! Preuve en est le début du chap. 4 qui nous décrit Jonas entrant dans une colère noire après que Dieu ait finalement décidé de ne pas détruire la ville de Ninive puisque les habitants s’étaient repentis. Il est là, le problème de Jonas : il ne comprend pas, il ne peut tout simplement pas accepter l’idée que Dieu puisse faire grâce aux ennemis de sa nation. Jonas ne comprend pas le plan de Dieu… Ou plutôt, il le comprend trop bien ! Mais cela lui semble profondément choquant, ou injuste.

 J’imagine que c’est là le type de sentiments qu’éprouvent ceux à qui on parle d’un pardon qu’ils devraient accorder à une personne qui leur a fait trop de mal. Comment même seulement imaginer l’idée que Dieu pourrait faire grâce par exemple à l’assassin de leurs enfants, ou à celui qui les a injustement condamnés et qui a brisé leurs familles ? – pour ne citer là que quelques-unes des tragédies concrètes de notre actualité.

 Alors, si je pense à tout ça, j’ai du mal à être trop sévère avec Jonas… N’avons-nous pas, nous aussi, dans diverses circonstances, parfois tendance à penser que l’autre ne mérite pas la grâce de Dieu, qu’il n’en est pas digne ? A cause de ce qu’il a fait, de ce qu’il est… Certes, nous ne réagissons généralement pas avec une attitude aussi extrême que celle de Jonas, mais de tels sentiments peuvent parfois nous freiner voire nous bloquer dans notre mission d’annonce de l’Evangile, dans notre mission d’aller vers l’autre quel qu’il soit et quoi qu’il ait pu faire…

 Dieu nous demande parfois de faire des choses qui nous semblent insurmontables et choquantes – comme par exemple d’aller vers celui qui nous a fait du mal pour lui témoigner de l’amour de Dieu… Il nous demande parfois de faire des choses qui nous semblent injustes – parce que nous avons du mal à concevoir l’idée que Dieu puisse faire grâce à des hommes ou des femmes qui à nos yeux ne le méritent pas. Aujourd’hui et dans notre contexte, ce ne sont plus des « ennemis de la nation », mais ce peuvent être des gens qui nous ont fait du mal, ou même tout simplement la masse de gens qui vit autour de nous et qui demeure obstinément indifférente à l’Evangile…

 

->Croyons-nous encore, au plus profond de notre cœur, que le Seigneur veut aussi et encore leur faire grâce, à eux aussi ? Qu’ils sont, eux aussi, « dignes » d’entendre le message de l’Evangile ?

 Si nous ne le croyons pas, ou plus, ne sommes-nous pas quelque part, d’une manière peut-être plus soft, d’accord, mais quand même, sur le chemin de Tarsis ? Je crois que l’exemple de Jonas doit ici nous interpeller…

 En même temps, si je pense à Jonas, je ne crois pas qu’il soit juste de dire qu’il a seulement été un « méchant prophète désobéissant ». Il était aussi, je crois, en quelque sorte, une victime : victime de ses préjugés, de son orgueil, peut-être aussi du sentiment de supériorité que lui donnait son appartenance au peuple élu, etc. Autant de sentiments qui peuvent nous atteindre aussi… Et provoquer éventuellement une révolte de notre part contre Dieu lorsque ce qu’il nous demande va à l’encontre de ces sentiments qui sont en nous. Alors, ne soyons pas trop sévères avec Jonas ! Dieu, d’ailleurs, ne l’est pas non plus puisqu’il va intervenir pour ne pas laisser son prophète dans cet état… Plus précisément, sur le chemin de Tarsis, Dieu va partir – pardonnez l’association d’idées, mais c’est trop tentant ! – « à la pêche ». Parce que Dieu est un grand pêcheur, vous ne le saviez pas ? ( un pêcheur, bien sûr, pas un pécheur ! ).

II. Dieu, « à la pêche »

Dieu, en effet, ne va pas rester indifférent… Non seulement il n’abandonne pas son serviteur désobéissant, mais il va tout faire pour aller à sa rencontre et lui ouvrir les yeux.

 

Il y a d’abord la tempête. Enorme tempête, qui menace de briser le bateau. Jonas, visiblement, ne semble pas très impressionné puisque la seule chose qu’il trouve à faire est d’aller « piquer un roupillon » au fond de la cale… Mais peut-être est-ce là aussi une forme d’endormissement spirituel : lorsque la révolte se transforme en désobéissance, c’est toute la juste perspective des choses qui s’en trouve altérée. Jonas ne voit plus la main de Dieu… Ou bien il refuse toujours de la voir.

 

Mais voilà, manque de chance pour lui, Dieu n’est pas seulement un grand pêcheur, il semble aussi avoir de redoutables connaissances dans les questions de constructions navales… Il n’a en tous cas aucun mal à dénicher Jonas, en la personne du chef d’équipage. Et c’est là que le récit devient admirable – un bel échantillon de l’humour de Dieu –, puisque ce sont les marins, des païens, des « infidèles » donc, qui vont rappeler notre prophète à son devoir... « Lève-toi, invoque ton Dieu ! ». Jonas, cependant, ne s’exécute pas ; il ne prie pas à la demande du capitaine. C’est sûr qu’il ne devait pas être trop en état de le faire. Et j’imagine que toute la situation devait être un tantinet humiliante pour lui… Vous pensez : lui qui ne voulait pas aller vers des païens, se voit rappelé à l’ordre par eux ! D’accord, ce n’étaient pas des ninivites, mais quand même !

 

On en arrive au tirage au sort, et là, Jonas n’a plus le choix : il doit se démasquer, avouer sa faute. Une nouvelle fois, c’est une belle leçon pour le prophète, puisque ce sont les païens qui se révèlent avoir une plus grande crainte de l’Eternel, ce sont eux qui finissent par prier et invoquer ce Dieu qu’ils ne connaissent pourtant sans doute pas vraiment, ce sont eux qui à la fin du chap. reconnaissent la grandeur de Dieu et lui offrent un sacrifice ( mais ça, Jonas ne pouvait plus le voir, contraint qu’il avait été de changer de « moyen de transport » ).

 

Tout cela me fait réfléchir sur les moyens que Dieu utilise pour nous faire entrer dans le droit chemin… Avec Jonas, c’est un peu comme s’il cherchait à lui ouvrir les yeux en l’amenant à voir différemment les personnes qui l’entourent : il n’y a pas que du mauvais chez eux, ils sont capables de réagir favorablement à la révélation de Dieu, et ils sont même parfois ceux qui nous interpellent quant à nos incohérences et / ou désobéissances !

 

->  Il me semble que cela devrait nous inciter à un peu plus de modestie. Nous les chrétiens avons parfois tendance à regarder un peu de haut ceux qui ne le sont pas, – « Nous avons la foi et pas vous ! » –, mais voilà, c’est parfois par eux que le Seigneur nous interpelle !

 Notez bien que je ne dis pas cela dans le sens qu’il faut laisser les non-croyants comme ils sont et ne pas leur parler de Dieu ! Surtout pas !! Mais peut-être que si nous arrivions à leur dire un peu plus clairement et gentiment que nous reconnaissons et apprécions la valeur de certaines choses qui sont en eux et / ou qu’ils font pour le bien des autres et de notre société, ils seraient plus réceptifs à notre message…

 Mais poursuivons l’histoire. La « pêche » de Dieu, en effet, n’est pas terminée. Après la tempête, le chef d’équipage, le tirage au sort, arrive enfin… le poisson. Jonas, – on a envie de dire que ce n’est pas trop tôt ! –, semble commencer à prendre conscience de sa faute. Sa réaction est intéressante : il n’y a pas de trace de repentance ( cela viendra plus tard, au chap. 2 ), mais il propose de payer de sa vie. Peut-être a-t-il pris conscience que le prix de sa désobéissance ne pouvait être que sa mort ? Le texte ne dit rien des motivations de Jonas qui l’ont poussé à faire cette proposition. Ce qui est sûr, cependant, c’est que Jonas est prêt à mourir, qu’il va mourir, et que Dieu lui fait grâce… Parce que le poisson est une grâce de Dieu. Une grâce peut-être un peu inconfortable, mais une grâce quand même. Et là encore, je me demande si ce que le Seigneur cherche à faire, ce n’est pas de changer le regard de Jonas sur les ninivites en lui montrant que, tout juif et même prophète qu’il soit, ce n’en est pas moins que par la seule grâce de Dieu qu’il peut vivre ! Cette grâce que Dieu reste libre d’offrir à qui il veut, fut-ce aux ennemis ninivites. Je crois que c’est là une étape importante dans le processus qui amènera Jonas à la repentance et lui permettra d’assumer sa mission ( ce qu’il, soit dit en passant, ne fera pas sans mal, comme nous le verrons les prochaines fois ).

 Prendre conscience que si nous-mêmes pouvons vivre, connaître et servir le Seigneur, ce n’est pas parce que nous serions meilleurs, plus dignes ou je ne sais quoi d’autre que les autres, mais uniquement parce que nous avons accepté de recevoir la grâce qui nous était offerte. Une grâce je le répète que Dieu entend offrir à tous, y compris à ceux que nous avons peut-être dans nos préjugés classés parmi les ninivites.

 ->  Nous rappeler de cela, de cette grâce reçue et de notre absence de mérite, aide il me semble à jeter un regard différent sur les autres, aide à aller vers eux. Des fois je me dis que si nous avons tant de mal à aller vers les autres pour leur parler de l’amour de Dieu et du message de l’Evangile, c’est peut-être parce que nous ne sommes pas ( ou plus ) assez conscients de ce que nous avons reçu… Ou bien, parce que nous en avons fait un sujet de fierté personnelle alors que cela devrait plutôt nous inciter à l’humilité !

 

Pour Jonas, c’est au cœur de la grâce de Dieu, qui a pour lui pris la forme d’un estomac de poisson, qu’il va trouver la repentance. Mais c’est là ce que nous verrons dimanche prochain, avec ce beau psaume du chap. 2.

Conclusion

Pour aujourd’hui, j’aimerais conclure ici. Conclure avec une question que nous laisse ce début de l’histoire de Jonas :

 -> Vers quelle ville suis-je en route ? Vers Ninive, ou vers Tarsis ?

 Il est important, je crois, que nous nous rendions compte que nous courons tous ce risque, dans divers domaines et pour diverses raisons en fonction de nos circonstances de vie, d’aller à Tarsis plutôt qu’à Ninive. De choisir le chemin de la désobéissance plutôt que de l’obéissance… A cause de nos préjugés quant à ce qui nous semble juste ou pas, de notre orgueil, ou quand Dieu nous demande de faire des choses qui nous semblent insurmontables et choquantes. Et ce n’est pas toujours une question de mauvaise volonté : nous pouvons être sincèrement… dans l’erreur !

 L’histoire de Jonas nous invite à prendre conscience que nos préjugés, notre orgueil, et peut-être aussi parfois le sentiment de supériorité que nous donne notre conviction d’être au bénéfice de la grâce de Dieu, peuvent nous amener à ne plus vouloir entrer dans les voies du Seigneur – en particulier lorsqu’il s’agit d’aller à la rencontre des autres, qu’ils soient perdus ou non.

 Cela dit, il y a aussi une bonne nouvelle dans cette histoire de Jonas. C’est que Dieu ne nous abandonne pas sur ce chemin de désobéissance. Dieu vient nous chercher, par des moyens surprenants que nous ne soupçonnons pas toujours. Pour cela, il doit parfois intervenir dans nos vies de manière étonnante, pas pour nous condamner, mais pour nous faire prendre conscience que sans sa grâce nous ne serions rien, ou bien que nous ne serions finalement qu’au même plan que ceux vers qui nous ne voulons peut-être pas aller…

 

-> Puissions-nous alors, face à ces interventions du Seigneur, face à ces révélations nouvelles de la grâce divine dans nos vies, réagir favorablement !

 Ce sera le cas de Jonas… Sera-ce aussi le nôtre ?

 Je vous invite à la prière.

Denis Kennel