Le Christ, roi de justice Ps 72.1-19

Introduction & Lecture biblique

L'actualité de ces dernières semaines a été marquée par « Les enfants de Don Quichotte »... Ce n'est pas le titre d'un film mais le nom de cette fameuse association qui a voulu – en ces périodes de fêtes – réagir contre le scandale des SDF...

Un des moyens qu'ils ont trouvé pour sensibiliser l'opinion publique et les politiques a été de monter des tentes le long du canal St Martin, à Paris, puis dans d'autres villes de France : - pour fournir un abri à ceux qui n'en avaient pas, rendre plus visible leur détresse ; - mais aussi pour mettre au défi les gens comme vous et moi de faire l'expérience d'une ou plusieurs nuit(s) dans les conditions de vie d'un SDF, histoire de prendre conscience de ce que vivent ces personnes...

On peut penser ce qu'on veut de cette initiative. Etre pour ou contre, être d'accord ou non avec les moyens employés, etc. Il n'empêche que moi, personnellement, cela me fait quand même un peu réfléchir... Il y a en particulier une question qui me trotte dans la tête :  Est-ce que Jésus, la Parole faite chair et qui est venu ( littéralement ) « planter sa tente parmi nous » ( Jn 1.14 ), n'aurait pas, s'il avait été là, planté aussi sa tente auprès des SDF du canal St Martin ? Et puis, – autre question peut-être encore plus dérangeante, si nous admettons juste un instant qu'il l'aurait peut-être fait – :  Qu'est-ce que cela veut dire pour moi, qui me dis son disciple ?

Nous entrons aujourd'hui dans la semaine universelle de prière de l'Alliance Evangélique Française ( AEF ), une semaine dont le thème cette année est une invitation à considérer la ou les manière(s) dont Dieu, en Jésus-Christ, s'est manifesté au monde... Tout en nous invitant aussi à réaliser la place – càd la responsabilité – qui est la nôtre, dans cette œuvre divine.

1 Cf. fascicule AEF, p. 1 : « Ainsi donc, tout au long de cette semaine de prière, les méditations et les pistes de prière proposées nous invitent à considérer la façon dont Dieu, en Jésus-Christ, s'est manifesté au monde. Elles nous entraînent aussi à réaliser la place – càd la responsabilité – qui est la nôtre, dans cette œuvre divine. Elles nous positionnent aussi dans la perspective du retour et de la manifestation glorieuse de notre Seigneur Jésus-Christ. »

2 Ceux qui le souhaitent pourront s'engager dans cette semaine de prière, en suivant le fascicule de l'AEF ( exemplaires à disposition, 1 par famille ) : pour chaque jour, un regard particulier sur une manifestation du Christ au monde, avec - un rappel de l'œuvre accomplie et que met en évidence cette manifestation ; - mais aussi une interpellation quant à la manière dont nous pouvons, nous, à la place et dans la mesure qui sont les nôtres, « entrer » dans cette œuvre.

Vous aurez peut-être deviné, avec mon introduction, que la 1ère manifestation de Christ au monde sur laquelle le fascicule nous propose de méditer, ce matin, touche à la question de la justice...

La manifestation du Christ au monde, comme le roi de justice annoncé

Lecture proposée : Ps 72.1-19

Nous avons là un psaume décrivant à la fois ce qu'est un roi juste, et la gloire que revêtirait inévitablement le règne d'un tel roi... C'est un psaume ( semble-t-il ) de Salomon, qui est en fait davantage - une prière destinée sans doute au peuple, pour que ce dernier l'adresse à Dieu en faveur de ses rois, - mais aussi peut-être une prière qu'un roi désireux de marcher dans des voies justes et agréables aux yeux de Dieu – comme c'était le cas de Salomon au début de son règne – pourrait prononcer le concernant personnellement. Il est intéressant de relever quelques-unes des caractéristiques de ce roi juste... 

C'est un roi qui juge avec justice, càd selon la justice de Dieu, et dont l'influence sera source de bénédiction pour la terre entière...

Son œuvre apportera le bonheur et la vie : bénédiction « comme une pluie qui tombe sur un terrain fauché, comme des ondées qui arrosent la terre » ( v. 6 )...

Son œuvre apportera la paix ( v. 7, « la paix abondera » ), cette paix véritable qui découle de la restauration pleine et entière de relations de justice des hommes avec Dieu et des hommes entre eux...

L'empire de ce roi sera universel : « Les rois de Tarsis et des îles apporteront des offrandes, Les rois de Saba et de Séba offriront des présents » ( v. 10 ), « Tous les rois se prosterneront devant lui, Toutes les nations le serviront » ( v. 11 )..Promesse, attente, espérance

Combien n'aspirons-nous pas, nous aussi, à un tel règne, avec un tel roi ? La question est de savoir comment ce roi mettra son « programme » en œuvre... Et là, on est plutôt surpris !

Le roi devra son autorité non pas au fait qu'il réussira à écraser les autres et à les dominer, mais à la bienveillance et à la miséricorde qu'il témoignera en particulier aux malheureux et aux pauvres...

Les rois se prosterneront devant lui et les nations le serviront, « Car – dit le texte – il délivrera le pauvre qui crie, Et le malheureux qui n'a point d'aide » ( v. 12 ).

Cet accent sur le soin et la libération accordés aux pauvres et aux malheureux est comme un refrain qui revient plusieurs fois dans le psaume :

( v. 4 ) « Il fera droit aux malheureux du peuple, Il sauvera les fils du pauvre »...  ( v. 12 – déjà lu ) « Il délivrera le pauvre qui crie, Et le malheureux qui n'a point d'aide »...  ( v. 13-14 ) « Il aura pitié du faible et du pauvre, Il sauvera la vie des pauvres ; Il rachètera leur vie de la fraude et de la violence, Et leur sang aura du prix à ses yeux »... Autrement dit : la justice du roi aura un effet bénéfique tout particulièrement pour les pauvres, ceux qui sont dans le besoin... C'est une dimension du salut de Dieu pour l'humanité que nous négligeons parfois, me semble-t-il ! Avons-nous aussi, nous, en tant que chrétiens, ce désir de voir se réaliser dans notre monde une justice qui rétablisse véritablement le droit des opprimés et des déshérités ? Un monde où – pour reprendre les paroles d'une chanson de variété française – « il n'y aurait plus d'exclus » !? C'est une question qu'il vaut je crois la peine de garder à l'esprit, pour nous en particulier qui vivons dans une société dont les valeurs sont souvent très liées à la réussite sociale et à l'épanouissement personnel...

Cela dit, on ne peut pas s'empêcher de penser qu'il y a une sacrée distance entre le roi de justice de ce psaume et Salomon, ainsi d'ailleurs qu'avec tous les rois qui ont pu se succéder après lui... On peut même à mon avis aller plus loin en disant qu'il y a une sacrée distance entre le roi de justice de ce psaume et tous les rois de la terre ou dirigeants politiques qui ont pu exister et existent toujours aujourd'hui, de quelque bord qu'ils soient : mêmes pour les meilleurs d'entre eux – parce qu'il y en a (!) –, la distance reste grande entre eux et le roi de justice de notre psaume !

C'est pourquoi, à l'époque de l'Ancien Testament, ce psaume a assez rapidement été envisagé comme une prophétie relative à un lointain avenir, une prophétie qu'accomplirait le Messie attendu. Et nous savons aujourd'hui que ce Messie est arrivé, en la personne de Jésus-Christ.

Aussi « bons » qu'aient pu être certains rois de la terre, Jésus-Christ était et est toujours le seul à pouvoir incarner parfaitement le portrait du roi de justice tel que le décrit le Ps 72.

Le Ps 72, ainsi, est un psaume prophétique qui pointe vers le Christ. Jésus est venu instaurer son règne de justice et de paix, qui comblera les peuples. Il incarne à la perfection le roi de justice de ce psaume. Nous savons qu'il est venu, il y a 2000 ans, inaugurer ce règne, même si nous en attendons encore le plein accomplissement.

David Bosch, dans un ouvrage qu'il a écrit sur la mission ( 774 p ! )2, écrit qu'une des caractéristiques fondamentales du règne de Dieu chez Jésus est – je cite – : « l'attaque tous azimuts contre le mal sous toutes ses formes. Le règne de Dieu arrive partout où Jésus vainc le pouvoir du mal. Car, comme aujourd'hui, le mal prend différentes formes : la souffrance, la maladie, la mort, la possession démoniaque, le péché et l'immoralité individuels, la propre justice dénuée d'amour de ceux qui prétendent connaître Dieu, le maintien de privilèges de classes, la rupture des relations humaines. Jésus affirme que, si la détresse humaine prend des formes diverses, le pouvoir de Dieu en fait autant. »

Répondre à toutes les formes possibles de la détresse humaine, telle est la mission du roi de justice. Ce que Jésus est venu accomplir et rendre possible, à la croix. C'est là je crois une formidable nouvelle ! Mais c'est en même temps, je crois, aussi une nouvelle qui nous questionne... Parce que nous n'oublions pas, bien sûr (?), que Jésus nous appelle – comme il a appelé ses disciples – à participer à sa mission. Ce qu'il est venu faire et accomplir, ce n'est pas seulement pour nous qu'il est venu le faire et l'accomplir, mais aussi avec nous...

Cela commence par notre conversion, si du moins nous voulons entrer dans ce règne... Toute la question de la prise de conscience de notre besoin de revenir à lui de tout notre cœur, d'accepter dans la repentance le besoin d'une conversion de nos cœurs, parce que notre péché nous a éloignés de Dieu et de son projet...

Ceci, bien sûr, ne peut se faire qu'en nous appuyant avec confiance sur la grâce de Dieu manifestée en Jésus, en nous appuyant sur le pardon qui nous a été acquis grâce au sacrifice consenti par le Fils – parce que nous savons bien que jamais nous ne pourrons satisfaire par nos propres forces ou capacités aux exigences du règne du roi de justice.

L'importance mise sur la nécessité de la conversion marque bien sûr une différence fondamentale entre la justice biblique et les projets des hommes ( aussi bons soient-ils, cf. « Les enfants de Don Quichotte » ) : la Bible nous rappelle que pour pouvoir vivre pleinement dans la justice divine, l'homme doit expérimenter la conversion, il doit naître de nouveau.

2 BOSCH, David, Dynamique de la mission chrétienne – Histoire et avenir des modèles missionnaires, Haho, Karthala, Labor et Fides, 1995, p. 48.

Engagement et témoignage

Mais il faut rappeler, aussi, que cette conversion, aussi importante soit-elle, ne reste toujours qu'un début... Ou plus exactement, elle nous introduit dans une réalité nouvelle, la réalité du royaume, du règne de Dieu. Et cela, encore une fois, nous questionne...

Quelles sont, dans nos vies et nos relations, les manifestations de la réalité du règne de justice et de paix de Dieu ?

A l'époque de Jésus, la compréhension du règne de Dieu était – basée sur des textes comme le Ps 72, entre autres – uniquement future : la justice et la paix selon Dieu, ce n'est pas pour maintenant, mais seulement pour quand le Messie viendra !

 L'avantage, avec une telle conception des choses, c'est qu'on n'a pas besoin de se poser trop de questions quant à notre manière de vivre aujourd'hui...

Mais voilà que Jésus est arrivé avec cette affirmation dont nous avons du mal aujourd'hui à percevoir tout le côté révolutionnaire qu'elle revêtait à l'époque, que le règne de Dieu s'est approché, et même, qu'il se trouve ( littéralement ) « sur » ses auditeurs, « parmi eux » ( Lc 17.21, h' basilei,a tou/ qeou/ evnto.j u'mw/n evstin )...

Alors là, ça change tout ! Parce que ça veut dire que, si ce règne s'est approché de nous voire même est parmi nous, il faut peut-être un peu se demander ce que nous en faisons et si notre manière de vivre en reflète au moins un peu les valeurs, ces valeurs du roi de justice...

Nous sommes là il me semble dans une tension... Tension parce qu'il faut être à la fois engagé, et réaliste.

Bosch ( encore lui ! ) dit que nous devons être « à la fois impatients et modestes »... Il fait le commentaire suivant :

« Dans le ministère de Jésus, le règne de Dieu est (...) interprété comme l'expression de l'autorité de Dieu prenant soin de la vie tout entière. Pour l'instant, cependant, les forces contraires restent une réalité. Elles continuent à proclamer leur pouvoir absolu. Nous devons rester à la fois impatients et modestes. Nous savons que notre mission ne va pas réaliser le règne de Dieu. Jésus ne l'a pas fait non plus. Il l'a inauguré, mais il ne l'a pas réalisé. Comme lui, nous sommes appelés à poser des signes du règne final de Dieu – rien de plus, mais en tout cas rien de moins. En priant 'Que ton règne vienne', nous nous engageons, ici et maintenant, à poser des signes qui soient des approximations et des anticipations du règne de Dieu. Encore une fois : le règne de Dieu viendra parce qu'il est déjà venu. Il est à la fois don et défi, cadeau et promesse, présent et futur, célébration et anticipation. Nous avons la ferme assurance que sa venue ne peut pas être contrecarrée. »

Poser des signes du royaume... Les chrétiens le feront  3 Ibid., p. 51.

- chaque fois qu'ils proclameront la bonne nouvelle du royaume qui invite à la réconciliation avec Dieu et avec les autres en Jésus-Christ,

- mais aussi chaque fois qu'ils adopteront des attitudes et des comportements qui reflèteront quelque chose de la justice et de la paix telles que Dieu les a pensées, en particulier en faveur des « petits » de ce monde : chaque fois qu'ils feront du bien autour d'eux, chaque fois qu'ils entreront dans des logiques de paix et de réconciliation plutôt que de division, chaque fois qu'ils manifesteront au monde qui les entoure un peu quelque chose de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, etc.

Eprouvons-nous de l'impatience pour poser de tels signes ?

En même temps, il faut rester réalistes, modestes. Ce n'est pas encore aujourd'hui le jour où nous pourrons soulager toute la misère du monde. Nous sommes parfois frustrés du peu que nous arrivons à faire. Bien sûr, il faut garder à l'esprit la question de savoir si nous faisons au moins ce que nous pouvons... Mais même quand nous le faisons, cela semble parfois si peu ! Quelqu'un a dit un jour ( Albert Schweitzer ? ) : « Le peu que tu peux faire, c'est beaucoup ». Et Dieu le voit. Il importe de garder cette pensée en nous pour ne pas désespérer, et continuer à faire le peu que nous pouvons faire, fidèlement. C'est ce que signifie, je crois, rester modeste...

Puissions-nous ainsi suivre le roi de justice, Jésus-Christ, notre roi de justice. Avec modestie, et impatience !

J'aimerais finir en vous lisant un texte qui est une relecture des béatitudes, à la lumière des Objectifs du Millénaire pour le Développement du « Défi Michée », dont nous avons déjà plusieurs fois parlé dans nos cultes.

Je vous rappelle qu'il s'agit d'Objectifs qui visent à plus de justice dans le monde et qui ont été approuvés à l'unanimité par les Etats membres de l'ONU en l'an 2000 : une feuille de route pour réduire de moitié la pauvreté dans le monde d'ici 2015.

La campagne du « Défi Michée » a quant à elle été lancée par l'Alliance Evangélique Mondiale avec le double objectif de (1) renforcer l'engagement des chrétiens envers les plus démunis, et (2) d'encourager les dirigeants de toutes les nations à tenir leur promesse publique d'atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement d'ici 2015.

On ne sera peut-être pas d'accord avec tout ce qui est dit dans ce texte, mais il a le mérite, au moins, de nous rappeler ces Objectifs, et de nous faire réfléchir quant à notre propre engagement à suivre le Christ roi de justice..Conclusion

BÉATITUDES POUR UN MONDE MONDIALISÉ

Le musicien irlandais Bono a qualifié les Objectifs du Millénaire pour le Développement de « béatitudes pour un monde mondialisé ». Cela m'a conduit à voir les huit OMD comme Jésus pourrait les voir.

Évêque Christopher Gregorowski, Le Cap

Jésus dit : « Heureux ceux qui ont de la compassion pour autrui, car Dieu aura de la compassion pour eux ! » (Matthieu 5.7)

1. Heureux ceux qui cherchent du pain pour les affamés, car ils seront rassasiés.

2. Heureux ceux qui ouvrent des écoles pour toutes les filles et les garçons, car ils verront la lumière de Dieu.

3. Heureux ceux qui soutiennent les femmes et les jeunes filles dans leur quête de prise de responsabilité et d'égalité, car la puissance de l'Esprit de Dieu est à eux.

4. Heureux ceux qui apportent aux enfants vulnérables santé et force, car ils seront guéris et fortifiés.

5. Heureux ceux qui concourent à la santé des femmes enceintes et des jeunes mères, car ils seront appelés enfants de Dieu.

6. Heureux ceux qui s'efforcent de combattre le VIH/SIDA, la tuberculose, la malaria et d'autres maladies, car Dieu aura de la compassion pour eux.

7. Heureux ceux qui prennent soin de ma création et qui cherchent de l'eau potable et de l'hygiène pour tous, ainsi qu'une vie meilleure pour ceux qui habitent des bidonvilles, car ils hériteront la terre.

8. Heureux ceux qui ouvrent leurs frontières au commerce équitable et leurs budgets à un développement équilibré, car ils seront abondamment récompensés.

Heureux êtes-vous si les hommes vous persécutent parce que vous êtes justes et recherchez la justice dans le monde, vous êtes membres de ma famille, car chaque fois que vous faites ces choses [ en mon nom et avec les moyens qui sont les miens4 ] pour vos sœurs et frères dans le besoin, vous les faites pour moi.