Église de la Vôge

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Du vin nouveau dans de vieilles outres... Luc 5.36-39

Introduction & Lecture biblique

Connaissez-vous la parabole du couturier et de l’œnologue ? -- Il s’agit de cette parabole où Jésus parle d’une pièce d’un habit neuf qu’on mettrait sur un vieil habit ou encore du vin nouveau qu’on mettrait dans de vieilles outres...

 

Un texte qui nous invite à réfléchir sur le bien-fondé des convenances et principes qui régissent nos vies et surtout, sur notre manière de les vivre...

Lc 5.36-39

Voilà un texte qui, s’il est court, n’en est pas pour autant forcément facile à comprendre... De quoi Jésus parle-t-il ? Et puis, comment comprendre le fait qu’après avoir mis l’accent sur la nouveauté ( v. 36-38 ), Jésus semble à la fin revenir sur ses dires en vantant les qualités du vieux ( v. 39 ) ? Quelques explications s’imposent...

Eléments de contexte

En fait, ce passage, – et c’est là la 1ère chose à dire –, ne vient pas là comme un cheveu sur la soupe... Il y a tout un tas d’événements qui se sont passés avant que Jésus en arrive à sa parabole. Je résume ( cf. chap. 4 & 5 ) :

Jésus est au début de son ministère : -   il vient de prononcer son « discours inaugural » dans la synagogue de Nazareth, discours qui lui attire les foudres de ses auditeurs qui tentent même déjà de le mettre à mort ( 4.14-30 ) ; -    mais Jésus ne se laisse pas impressionner : il commence à poser les signes du royaume qu’il est venu inaugurer – délivrance de personnes démonisées, guérisons diverses, dont celle de la belle-mère de Pierre ( 4.31-44 ).
Les foules viennent à lui pour entendre la parole de Dieu, Jésus continue son ministère :
-       pêche miraculeuse, il appelle ses 1ers disciples – entre autres Pierre (5.1-11 ) ;

I. Explication du texte / Contexte

-        puis il s’approche d’un lépreux, ces parias de la société dont on n’osait même pas approcher de peur de se rendre impur  – Jésus, lui, ne craint pas la contagion : il s’approche, touche le malheureux ( quelle horreur ! ) et le guérit ( 5.12-16 ) ;

-        vient ensuite la guérison d’un paralytique, auquel Jésus annonce ( blasphème ! ) que ses péchés sont pardonnés ( 5.17-26 ) ;

-        et enfin, Jésus, comme s’il n’en avait pas déjà assez fait, appelle comme disciple un péager, ces maudits, et il va même avec ses disciples manger chez ce misérable individu ( 5.27-32 )...

> A la question des scribes et des pharisiens de savoir comment il peut manger et boire avec ces péagers et ces pécheurs, Jésus répond : « Ce ne sont pas ceux qui sont en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades » ( 5.31 ). > Puis, à ces mêmes scribes et pharisiens qui lui reprochent que ses disciples ne respectent pas les jeûnes et ne prient pas, il répond que les amis de l’époux n’ont pas à jeûner tant que « l’époux est avec eux » ( 5.34 )...

Et voilà. C’est dans ce contexte que Jésus raconte sa parabole. Dans un contexte, autrement dit, où il est déjà considéré et perçu comme une sorte d’agitateur potentiellement dangereux... Un homme qui dérange parce qu’il se permet de sortir des règles de « bonne conduite » ;
il bouscule les convenances et les principes :
-        il s’entoure d’individus peu considérés ( Pierre, un pêcheur ), voire franchement pas recommandables ( Lévi [Matthieu], un péager ) ;
-        il n’a pas peur de se rendre lui-même impur en touchant un impur ;
-        il s’attribue des prérogatives qui sont normalement celles de Dieu seul : le pardon des péchés ;
-       et il se permet de prendre des libertés inimaginables ( en tout cas pour tout bon juif qui serespecte ) avec la loi juive, sur les questions du jeûne et de la prière...

Jésus donc ne respecte pas l’ordre établi, les principes de « bonne conduite » de la bonne société juive ( càd de ceux qui sont – ou se croient – justes )... Alors évidemment, ce n’est pas très étonnant qu’il s’attire un certain nombre de remarques !

Et puis, à partir du v. 34, le débat se focalise sur la question du jeûne. Je lis ces quelques versets :

Lc 5.33-35

La question, c’est : Pourquoi les disciples de Jésus ne jeûnent pas, alors que ceux de Jean- Baptiste et ceux des pharisiens le font ? Réponse de Jésus : Ils n’ont pas de raisons de jeûner, puisque l’époux ( càd lui-même ) est encore avec eux ( ils n’ont donc pas de raison d’être affligés ).

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que cette question du jeûne renvoie à celle du respect de la loi. En fait, ce qu’on demande à Jésus, c’est pourquoi ses disciples se permettent certaines libertés avec la loi, en plus sans qu’il ne les reprenne... Et la réponse de Jésus est de dire que le fait même de sa présence provoque ce qu’on peut appeler un nouveau rapport à la loi, une nouvelle manière de la vivre. On est dans la même logique que celle du Sermon sur la montagne, quand Jésus fait ses fameuses antithèses du chap. 5 ( « Vous avez entendu qu’il a été dit... Mais moi je vous dis » ), ou encore lorsqu’il va violer la loi pour guérir un malade le jour du sabbat.

> Ce qui important, ce n’est pas de respecter la loi à la lettre, simplement parce que c’est écrit, mais de comprendre quel est l’esprit de la loi pour mieux comprendre la volonté de Dieu – et agir en conséquence. Cette compréhension nouvelle est rendue possible grâce à la présence de Jésus, de sa personne et de toute la révélation qui est en lui.

Et on arrive à notre fameuse parabole du morceau d’un habit neuf mis sur un vieil habit, ou du vin nouveau mis dans les vieilles outres ( 5.36-39 )...

La parabole

Elle sert en fait d’illustration à ce qui précède. Ce que Jésus est en train de dire, c’est qu’il y a, depuis sa venue sur terre, quelque chose de radicalement nouveau qui commence. Ce quelque chose de radicalement nouveau, c’est justement qu’il faut arrêter d’obéir aveuglément à la loi en en étant esclave, pour apprendre en suivant son exemple à discerner quelle est la véritable et profonde volonté de Dieu ( que la loi juive révèle en partie mais pas entièrement puisque ce n’est qu’en Jésus-Christ que cette loi est pleinement accomplie – cf. Mt 5.17 ).

L’exemple donné du morceau d’un habit neuf mis sur un vieil habit, ou du vin nouveau mis dans les vieilles outres, sert à montrer qu’il y a une incompatibilité totale entre ce quelque chose de nouveau qui a commencé, et l’ancienne manière de faire ( obéir à la loi comme les pharisiens ). Il faut faire un choix, on ne peut pas « ménager la chèvre et le choux », comme on dit. Et bien sûr, Jésus appelle à faire le choix du nouveau : apprendre à discerner la volonté véritable de Dieu. En sachant bien que pour cela, il faut renoncer à l’ancien.

Certes, il y a le v. 39 qui semble contredire cette interprétation. Je reviendrai dessus plus tard. Parce que j’aimerais d’abord développer un peu cette notion d’une nouvelle manière d’obéir à la loi, depuis la venue sur terre de Jésus.

Dans un autre texte bien connu, Jésus dit la même chose, mais d’une manière différente :

Mt 5.17 « Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir. »

2 remarques sur ce texte

II. Accomplir la loi

(1) Jésus ne dit pas que dans le nouveau royaume, il n’y a plus de loi. Une telle pensée, qu’il n’y aurait désormais plus de loi puisque tout est grâce, – pensée erronée ! –, Jésus la corrige radicalement : la loi n’est pas abolie, elle a toujours sa raison d’être. Ceci, parce que : -     nous avons besoin d’être guidés dans nos relations humaines et avec Dieu ; il ne suffit pas de dire que nous devons aimer Dieu et suivre notre propre conscience ; -     nous avons besoin d’être remis en question : être guidés d’une manière qui nous réveille, qui stimule notre volonté d’agir ( un langage important à notre époque où tout est permis, y compris dans nos Eglises – mais aussi un langage que nous avons souvent bien du mal à entendre ).

(2) Mais Jésus parle aussi d’un changement : un changement dans la compréhension et la manière de vivre la loi... « Je suis venu accomplir la loi ». Accomplir, c’est remplir, rendre complet, rendre plein. Ce qu’il faut comprendre, c’est que Jésus est venu révéler le sens profond de la loi, montrer la vraie portée des Ecritures, manifester le véritable esprit de la loi, – esprit qui n’est pas celui d’une obéissance aveugle à la lettre, sans chercher à comprendre le sens des choses. Jésus, dans la suite de son Sermon, va donner plusieurs applications concrètes ( cf. Mt 5.21-48, les 6 antithèses : « vous avez entendu..., mais moi je vous dis » ) : -        l’esprit de la loi, ce n’est pas se contenter de ne pas tuer, mais il faut maîtriser / corriger nos pensées pour ne même pas nous laisser aller à la colère ;
-        l’esprit de la loi, ce n’est pas se contenter de ne pas commettre d’adultère, mais il faut veillermême à nos pensées dans ce domaine ;
-       l’esprit de la loi, ce n’est pas se contenter des facilités consenties dans l’AT à cause de la dureté de notre cœur ( le divorce, la loi du talion ), mais il faut chercher à dépasser ces attitudes ; - l’esprit de la loi, ce n’est pas se contenter d’aimer nos amis, mais nous sommes appelés à étendre cet amour même à ceux qui nous ont fait du mal... Tous ces exemples mettent en évidence que le sens profond de la loi que Jésus révèle est une loi entièrement tournée vers le bien-être voire la protection du prochain, quel qu’il soit. Il s’agit de s’exposer, de prendre sur soi, parfois à ses risques et périls, soit pour protéger l’autre, soit pour le gagner, l’interpeller, pour lui donner une chance de découvrir au travers de notre attitude quelque chose de l’amour de Dieu. Voilà l’esprit dans lequel Jésus nous appelle à vivre et pratiquer la loi... Et nous avons là un « guide » pour discerner si nous vivons et pratiquons cette loi d’une manière conforme à l’enseignement de Jésus.

Alors évidemment, pour entrer dans cette dimension et la vivre un tant soit peu, il faut se laisser pénétrer de l’Esprit de Jésus.

1 John W. MILLER, La voie chrétienne, Cahiers de Christ Seul, n° 3-4, 05/1981, p. 42-46.

 

> Il faut rejeter toute compréhension de la loi comme ensemble de principes auxquels il faut obéir « parce que c’est comme ça, ça a toujours été comme ça et ce sera toujours comme ça », sans même réfléchir à ce qu’on fait et pourquoi on le fait... > Il faut rejeter toute compréhension de la loi comme moyen de nous donner un sentiment d’autojustification devant Dieu, et / ou de comparaison par rapport à ceux qui y arriveraient moins bien que nous...

> Il faut rejeter toute compréhension de la loi comme moyen d’imposer une conduite ou des pratiques aux autres sans même essayer de voir ce qui est bon pour eux, de voir ce qui leur permettra d’expérimenter quelque chose de l’amour de Dieu parce qu’ils se sentiront acceptés et aimés tels qu’ils sont...

> Il faut rejeter toute compréhension de la loi comme quelque chose qui écrase, établit des jugements, et ne conduit pas à la recherche du bien de l’autre, son épanouissement – parce que le but final est que cet autre puisse, au travers de ma manière de pratiquer la loi à son égard, découvrir qu’un autre type de relations avec Dieu et les autres est possible : des relations davantage marquées par l’amour, la justice et la paix... Et ce sera peut-être là son salut.

C’est donc à une manière totalement nouvelle de vivre et pratiquer la loi que Jésus nous appelle. Il y a là une nouveauté fondamentale, laquelle n’est évidemment rendue possible que par l’action en nous du Saint-Esprit qui nous transforme à l’image de Jésus-Christ. Et cette nouveauté, tout comme la pièce d’un habit neuf ne va pas sur un habit ancien ou comme le vin nouveau ne va pas dans de vieilles outres, est incompatible avec l’ancienne manière de faire ( l’obéissance à la loi à la mode pharisaïque )...

La question que me pose ce texte, personnellement, est la suivante : Qu’est-ce que je fais de cette nouveauté ?

Comme tout le monde, j’ai des principes, des manières de voir les choses, des positions, autant de « lois » qui définissent ce qui à mes yeux est juste et bon, ce qui est normal. Et ces lois déterminent quelque part ma manière de vivre, que ce soit seul, en groupe, en société, en Eglise : ce que j’accepte, ce que je n’accepte pas, ce à quoi j’essaye de me conformer et ce que j’attends des autres. Et c’est normal, je pense, qu’il en soit ainsi. Parce que nous avons besoin, pour vivre, de ces cadres structurants, ensembles de règles et de convenances.

La question que nous pose la parabole de Jésus, il me semble, est celle du rapport que nous entretenons avec ces règles et convenances... Parce qu’il y a toujours un danger que nos systèmes de fonctionnement, nos principes, finissent par nous empêcher de voir ce que j’appellerais les « intérêts supérieurs » de notre prochain..III. Une question qui nous est posée...

 

L’esprit dans lequel Jésus nous invite à vivre et pratiquer la loi, nos lois, c’est de ne pas le faire pour notre propre intérêt ou notre propre considération, pas non plus pour nous différencier des autres et ( éventuellement ) nous estimer supérieurs à eux, mais de le faire en ayant en vue leur épanouissement et leur bien-être, pour qu’ils puissent voir que leurs personnes sont toujours plus importantes à nos yeux que nos principes quant à ce qui est juste, bon ou normal. Ainsi, peut-être, seront-ils interpellés, gagnés à l’amour de Dieu...

N’est-ce pas là justement ce dont Jésus a témoigné lorsqu’il a touché un lépreux pour le guérir ( la loi l’interdisait, sous peine de devenir soi-même impur ), lorsqu’il a choisi un péager comme disciple et est allé manger chez lui ( les principes religieux de la bonne société de l’époque ne pouvaient admettre une telle promiscuité ), ou encore lorsqu’il a, en une autre occasion, guéri un malade le jour du sabbat ( ce que la loi interdisait ) ? La nouveauté apportée par Jésus, c’est qu’au lieu de voir d’abord la loi, les principes, les convenances, il a vu les personnes et leurs besoins – et c’est cela qu’il a fait passer en 1er. Ainsi, il a fait avancer le royaume de Dieu, ce que les scribes et les pharisiens n’ont jamais pu faire, en dépit de leur stricte obéissance à la loi...

Le problème, avec cette manière de considérer les choses, c’est qu’il n’y a plus vraiment de principes valables et applicables de la même manière partout et toujours. Il y a plutôt des personnes, dans toute leur diversité et la diversité de leurs besoins. Des personnes qui nécessitent qu’on réfléchisse pour chacune d’entre elles à comment on pourra au mieux leur témoigner de l’amour de Dieu. Et cela peut demander, à l’occasion, de ne pas rester figés sur nos principes – lorsque ceux-ci nous empêchent de nous approcher d’elles pour leur faire du bien et les accueillir comme elles sont.

Evidemment , c’est difficile. Parce que c’est toujours un nouveau questionnement. Ce principe que j’ai, – qui va déterminer mon attitude vis-à-vis de l’autre et auquel j’attends éventuellement qu’il se conforme –, est-il véritablement orienté dans un souci de sa personne, ou simplement pour je puisse moi être plus tranquille et vivre les choses comme je l’entends ? Cela demande du courage d’entrer dans cette nouveauté ! Et la tentation peut être forte de revenir à l’ancien, qui était sans doute plus facile puisqu’il s’agissait d’obéir sans trop réfléchir à la raison profonde des choses...

Je me demande si ce n’est pas là l’explication du v. 39, où Jésus semble effectivement accorder plus de valeur à l’ancien qu’au nouveau. Je me demande, – et plusieurs commentateurs vont dans ce sens –, s’il n’y a pas une certaine ironie de sa part pour en fait reprocher aux pharisiens de préférer l’ancien, parce qu’ils n’ont finalement pas le courage d’entrer dans la nouveauté. Si cette interprétation est juste, c’est alors aussi un défi que le Seigneur place devant nous... Qu’est-ce qui m’attire ? Le neuf, ou le vieux ? Puisse le Seigneur nous donner le courage de choisir le neuf !

Conclusion : Attirés par le neuf, ou le vieux ?

Denis Kennel