Église de la Vôge

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La lettre à Thyatire

* Ap 2.18-29 *

Introduction & Lecture biblique

-> Série de prédications sur les « 7 lettres aux Eglises » dans les chapitres 2 & 3 du livre de l’Apocalypse.

 Après Ephèse, Smyrne, Pergame : la 4ème des 7 lettres, adressée cette fois à l’Eglise de Thyatire

* Ap 2.18-29

 - Un texte un peu lourd, pas trop facile à entendre : les paroles que le Seigneur y exprime sonnent durement à nos oreilles…

- On aurait presqu’envie de passer directement à la prochaine lettre ! Malheureusement, ça ne sera pas beaucoup mieux. Alors, prenons notre courage à 2 mains et entrons un peu plus en détail dans ce passage…

I. Thyatire : la ville, l’Eglise, le problème

Thyatire était, par rapport à Pergame dont nous avons parlé la dernière fois, une ville de moindre importance. Plus vulnérable aussi, exposée aux invasions. Mais cela ne l’a pas empêchée de devenir un centre commercial important, grâce en particulier à la culture et à la production de la pourpre. On produisait nombre d’étoffes et tissus teints en pourpre, qui s’exportaient dans le monde entier ( connu de l’époque ) ; nombreux les rois, princes et gouverneurs qui portaient des vêtements teints en pourpre et confectionnés à partir des étoffes de Thyatire.

 

C’est d’ailleurs de Thyatire qu’était originaire une certaine Lydie, qui croisa un jour la route de l’apôtre Paul, à Philippes ( Ac 16.14-15 ) : elle vendait là-bas sa pourpre, sans doute pour la fabrication des vêtements des élites romaines qui résidaient dans cette ville. On se demande d’ailleurs si ce ne serait pas cette Lydie qui, après s’être convertie à Jésus grâce au témoignage de l’apôtre Paul, aurait regagné sa ville d’origine pour y témoigner de sa foi. L’Eglise de Thyatire serait alors le fruit du témoignage de cette femme fidèle.

 

Si on essaye maintenant de voir la situation dans laquelle se trouvait l’Eglise de Thyatire en cette fin de 1er siècle, on retrouve des éléments à la fois proches et différents des situations d’Ephèse, de Smyrne et de Pergame :

  • š  la différence, c’est qu’il n’y avait pas semble-t-il à Thyatire cette présence et obligation tellement fortes et oppressantes du culte impérial…
  • š  mais cela ne veut pas dire que la vie y était facile pour les chrétiens, puisque comme à Ephèse, Smyrne et Pergame, ces derniers étaient placés devant un choix douloureux : choisir entre * leur fidélité à Jésus-Christ et ** leur appartenance sociale, leurs biens, revenus.

 

Toute la vie sociale était en effet construite sur un système de corporations : corporations des   lainiers, des toiliers, des tailleurs, des teinturiers, des cordonniers, des tanneurs, des potiers, etc. – bref tout ce qui a trait de près ou de loin au commerce de la pourpre. Impossible de gagner sa vie en dehors de l’une de ces corporations. Mais voilà, la difficulté, c’est que chaque corporation avait sa divinité protectrice, à laquelle il fallait rendre un culte. Et il n’y avait pas le choix : ne pas rendre ce culte, c’était en effet – aux yeux des païens – prendre le risque de froisser le dieu, de perdre sa protection, ce qui pouvait mettre en péril toute la corporation… Il fallait donc participer aux fêtes corporatives, manger la nourriture consacrée à la divinité en la remerciant de sa bienveillance, le tout s’accompagnant souvent de débauche et d’immoralité plus ou moins grossières. Le chrétien évidemment, dans ce contexte, se trouvait dans une situation bien délicate :

  • š  ou bien il quittait la corporation mais perdait alors sa position dans la société ; il risquait d’être dans le besoin, de souffrir de la faim et d’être persécuté.
  • š  mais s’il y demeurait et continuait à participer aux cultes païens, il reniait son Seigneur…

 Cf. un parallèle aujourd’hui avec la situation de certains chrétiens au Laos, sommés de renier leur foi en Jésus s’ils veulent continuer à habiter chez eux, dans leur village… S’ils refusent, ils sont expulsés, ils perdent leurs maisons, leurs moyens de vivre… Que faire, dans de telles situations ? C’est facile, pour nous aujourd’hui, de dire qu’il faut évidemment rester fidèle à Jésus… Mais qu’aurions-nous fait à la place des chrétiens de Thyatire ? Que ferions-nous si nous vivions aujourd’hui au Laos, menacés de perdre notre maison, nos biens et notre sécurité si nous refusons de renier notre foi ?

 Certains, à Thyatire, avaient semble-t-il trouvé la parade. Parade qui consistait en quelque sorte à « ménager la chèvre et le chou », en disant qu’on pouvait très bien participer aux fêtes corporatives, tout en rendant en même temps un culte au vrai Dieu. Aujourd’hui, on dirait peut-être « aller au temple païen en semaine pour son travail, et le dimanche au culte à l’Eglise »... Il y avait dans l’Eglise de Thyatire au moins une personne, une femme qui se disait prophétesse, qui enseignait dans ce sens.

 Situation difficile, donc, pour ces chrétiens de Thyatire… Qui semblent pourtant avoir malgré tout su rester fidèles à bien des points de vue.

II. Je connais… Une foi véritable

  • — « Je connais – c’est le Seigneur qui parle – tes œuvres, ton amour, ta foi, ton service et ta persévérance » ( v. 19 )… Belle énumération de ce qui fait une foi véritable ! Le terme original traduit par « foi », pistos, a plus le sens de « fidèle, sûr » que celui de « croire ». Ce mot doit donc être pris dans le sens de fidélité plus que de croyance.

 Les chrétiens de Thyatire savaient que la foi en Jésus ne se résumait pas à une simple croyance plus ou moins intellectuelle, mais qu’elle se manifestait par une vie radicalement nouvelle, marquée par l’amour, des œuvres bonnes, une pratique du service, dans la fidélité et la persévérance ( constance ). Rien de bien nouveau, mais en même temps quelque chose à toujours nous rappeler, me semble-t-il, dans notre contexte occidental « intellectualisé » où nous avons trop souvent tendance à dissocier ce que nous croyons de ce que nous faisons comme si les 2 sphères n’avaient que peu ou pas de communications entre elles…

 Œuvres, amour, foi ( fidélité ), esprit de service, persévérance : c’est un peu comme un « pack » dont on ne peut pas « vendre » les éléments séparément ! Veillons à ne pas l’oublier, si du moins nous souhaitons que notre consécration pour le Seigneur reste pleine et entière ( ou, plus humblement, que notre consécration tende de plus en plus à cette plénitude et perfection ).

 Mais voilà que nous arrivons au « problème » de l’Eglise de Thyatire… Un problème qui porte un nom : Jézabel.

III. Mais… Jézabel ! – L’appel à la repentance

  • — « (…) j’ai ceci contre toi, tu laisses cette Jézabel (…) égarer mes esclaves en leur enseignant à se prostituer et à manger des viandes sacrifiées aux idoles » ( v. 20 )… Il est évident que Jésus fait ici référence à la Jézabel de l’AT, femme d’Achab. Quelques rappels ( 1 R 16.31 ; 18.4,13,19 ; 19.1-2 ; 21 ) :

 

  • Jézabel, fille du roi des sidoniens que le roi d’Israël Achab a épousée en dépit de l’interdiction de mariage avec des filles de peuples étrangers.
  • Jézabel va alors entraîner Achab puis tout Israël dans l’infidélité ; sous le règne d’Achab, 400 prophètes d’Astarté mangeront à sa table.
  • Une femme autoritaire, prête à tout puisqu’elle fera massacrer les prophètes de l’Eternel, elle ordonnera le meurtre de Naboth pour pouvoir offrir la vigne de ce dernier à son cher époux de roi qui pleurnichait de ne pouvoir l’avoir, etc.
  • Le prophète Eli lui-même s’enfuira à ses menaces, les anciens de Jizréel n’oseront pas lui résister dans l’affaire de la vigne de Naboth.

 

-> Autant dire que la prétendue prophétesse de l’Eglise de Thyatire ne devait pas être une tendre… Un nom synonyme d’entraînement à l’idolâtrie et à l’immoralité. Il semblerait même, – selon certains commentateurs –, qu’elle avait un raisonnement plus tordu encore :

Cf. Hendriksen :
« Voici, apparemment, son raisonnement : pour pouvoir vaincre Satan, il faut le connaître. Un chrétien ne sera jamais capable de remporter la victoire sur le péché, tant qu’il n’en aura pas fait personnellement l’expérience. Bref, tout chrétien devrait apprendre à connaître « les profondeurs de Satan ». Il fallait donc participer à tout prix aux fêtes corporatives et à leurs débauches, tout en restant chrétien ; ou plutôt, en devenant un chrétien meilleur ! ».[1]

Si tel était effectivement le cas, on ne serait plus ici dans le seul registre de participer à une célébration, éventuellement à contrecœur, pour préserver ses intérêts et sa sécurité, mais dans celui d’une véritable incitation à aller vers l’idolâtrie et la débauche…

Et le problème, c’est que l’Eglise de Thyatire ne semble pas avoir pris position contre cette femme et ses enseignements. A sa décharge, on peut supposer que ce n’était peut-être pas si facile que ça de lui résister, à cette Jézabel… D’où les dures paroles du Seigneur à son encontre. Mais des paroles aussi, qui montrent ce souhait toujours présent chez Dieu que l’homme revienne à lui, qu’il se repente et qu’il vive.

  • « Je lui ai donné du temps (…) » ( v. 21 ). Même à elle, le Seigneur a donné du temps et des occasions de repentance. Quand on a conscience de nos endurcissements, et du mal qu’on a parfois à nous laisser corriger, c’est encourageant de nous rappeler cela ! Le projet de Dieu, ce n’est pas de punir et de châtier, mais de sauver et de libérer.

En même temps, il ne faut pas évacuer la notion qu’il y a quelque part des limites. Un peu comme si le Seigneur disait à un moment : « Maintenant, ça suffit ». C’est ce qui semble être le cas avec Jézabel : « Je lui ai donné du temps (…), mais elle ne veut pas revenir (…). Je vais la jeter (…) dans une grande détresse » ( v. 21-22 ). Elle devra alors subir les conséquences de ses désobéissances. Le danger de jouer avec le feu ! Même si je pense personnellement qu’il faut sans doute longtemps et beaucoup d’endurcissement avant d’arriver à la limite, il est important de prendre conscience du danger qu’il y a à vouloir tenter le Seigneur. Mieux vaut ne pas attendre pour mettre de l’ordre dans nos affaires, du moins lorsqu’on a conscience d’un certain désordre !

Le Seigneur appelle à la repentance, càd à un « changement radical » ( cf. traduction de la NBS ). Il y a là bien plus que du regret. Bien sûr, le fait de regretter fait partie de la repentance, mais il est important de préciser qu’il n’en constitue pas le tout. Quand le NT parle de repentance, ce n’est pas tant sur le sentiment de regret ou de tristesse qu’il insiste, que sur le fait de prendre conscience de ce que l’on a fait et de se décider pour un changement. Un changement pour Jésus. Quelqu’un disait :

« Se repentir, c’est changer de manière de voir et d’agir après avoir compris la nécessité et la raison de le faire » ( B. Bolay ).

 

C’est clair que nous n’aimons pas beaucoup parler de repentance. Peut-être parce qu’on y associe parfois les notions d’écrasement, d’humiliation, de honte voire de culpabilisation. Ce sont certes des sentiments qu’on peut parfois éprouver dans une démarche de repentance. Mais il ne faut pas oublier que la repentance a d’abord pour but de nous faire déboucher sur une vie nouvelle. Elle est le chemin qui nous libère, toujours à nouveau, de tout ce qui nous empêche de vivre selon les normes du Royaume. Pour la gloire de Dieu, oui, mais aussi pour notre bien, pour que nous puissions vivre mieux ! Et ceci nous pouvons en être assurés parce que nous savons que nous pouvons toujours compter, lorsque nous nous repentons, sur la compassion et le pardon de Dieu.

  • Le message adressé à l’Eglise de Thyatire, en tous cas, nous interpelle quant à l’importance de cette repentance et quant aux dangers de l’endurcissement. La problématique de l’Eglise était celle du rapport au monde, des compromis qu’on accepte dans nos vies pour avoir la vie plus facile… Question de la pureté dans nos engagements ; nous en avons beaucoup parlé la dernière fois avec l’étude de la lettre à Pergame, aussi n’y reviendrais-je pas maintenant. Sauf pour dire que ce sont là des questions où les choix peuvent être bien douloureux, surtout lorsque ce sont notre bien-être, nos biens, notre sécurité, etc., qui sont en jeu – comme c’était le cas pour les chrétiens de Thyatire. Mais voilà, même dans ces cas où on aurait parfois envie de s’accorder les « circonstances atténuantes », le Seigneur nous appelle à lui être fidèles, et à lui seul. Et à changer radicalement si nous nous sommes peut-être laissés entraîner sur un mauvais chemin. Puissions-nous simplement prendre au sérieux ces avertissements, même s’ils sonnent un peu dur à nos oreilles : la repentance n’est pas une option facultative de la vie chrétienne ! Ayons le courage de revenir à Dieu, si nous sentons que nous nous sommes éloignés de lui.

Jésus finit en donnant un conseil à ceux qui sont restés fidèles, valable pour nous aussi, je crois :

Conclusion – Exhortation

— « (…) à tous les autres (…) qui n’ont pas cet enseignement [celui de Jézabel] et qui n’ont jamais connu les profondeurs du Satan [qui ne se sont pas laissés entraîner vers l’idolâtrie et la débauche] (…), je dis [dit Jésus] : je ne mets pas sur vous d’autre fardeau. Seulement, ce que vous avez, restez-y attachés jusqu’à ce que je vienne. » ( v. 24-25 ). Restez attachés à ce que vous avez… Càd à ces œuvres, cet amour, cette foi-fidélité, ce service et cette persévérance que le Seigneur a loués au début de la lettre. Le meilleur moyen de ne pas chuter reste encore de demeurer fidèle dans son engagement pour le Seigneur. Il n’y a pas d’autre façon d’attendre la venue du Christ.

 

Que le Seigneur nous aide donc, dans cette espérance et cette attente, à lui rester fidèles, en chacune des situations de vie que nous pouvons rencontrer ! 

Amen.

Denis Kennel



[1] Hendriksen, Plus que vainqueurs – Commentaire sur l’Apocalypse, p. 69.